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QUESTIONS D’ EMBARQUEMENT posées à Céline Garcia

Qu’est-ce que l’ Ecole d’Art dramatique ? C’est vous le professeur ?

Céline Garcia :
Je suis une Artiste-pédagogue passionnée par la pratique de la pédagogie théâtrale. J’ai même bâti un site pour justement apporter aussi un éclairage à ces questions fondamentales que vous posez, pour diffuser plus largement ce qu’est mon métier inscrit souvent à la marge que ce soit d’ailleurs en grâce ou en disgrâce, mais peu connu ou mal connu . Les grands artistes qui m’ont formée au fil du temps étaient tous aussi de grands pédagogues, cela aura contribué sans doute à orienter mon choix de métier. Il y a dans la pédagogie du théâtre une solidarité totale de l’enseignant avec son sujet, ce qui est aussi une prise de risque puisque l’exposition y est totale. Cela requiert une énergie et une authenticité presque sans faille. C’est un travail de haute exigence.
Quant à l’Ecole d’Art dramatique dont j’ai la co-responsabilité avec le Directeur de l’Etablissement qui lui encadre à la fois Musique, Danse et Art dramatique, c’est une école de son temps qui se veut l’endroit du trait d’union entre territoires, disciplines artistiques, répertoires, âges
Le cursus d’enseignement est compatible avec la scolarité et la vie professionnelle sous réserve de rigueur et de quelques aménagements d’emploi du temps

Cela veut dire des examens, des contrôles, des évaluations ?

Des RV nécessaires, des moments passionnants, des challenges. Par exemple, Le document du bulletin semestriel avec ses différentes rubriques est une photographie du cursus de formation théâtrale avec évaluation et progression mesurable, encadrement et apport pédagogique et artistique.

Comment évaluez-vous ?

L’évaluation prend en compte l’assiduité, la progression, la participation, la réalisation devant un public. Ainsi, Pour un meilleur repérage dans le foisonnement des registres multiples du théâtre, les matières y figurent regroupées et classées sous les appellations :

  • Répertoire classique et interprétation
  • Répertoire contemporain et interprétation
  • Chantier poétique
  • Improvisation et lien à la musique, à la danse, à l’objet, aux nouvelles technologies

Ce sont les matières étudiées dans l’année ?

Ces quatre grands axes de travail ici inventoriés s’interpénètrent car l’enseignement du théâtre est complexe. Savoirs, techniques, méthodes abondent et le théâtre est en même temps d’une globalité que l’on appauvrirait à vouloir fragmenter à l’excès. On a donc fait le choix du regroupement pour amener également les jeunes gens à la perception du théâtre comme l’Art d’un ensemble dramatique : le théâtre ou l’Art dramatique, art de l’action complexe.

Par exemple, on sera amené à travailler la commedia dell’arte en faisant un travail d’interprétation d’un texte de Molière, mais on peut aussi faire un choix d’interprétation en clown de tel ou tel personnage. Par exemple, on se prépare à aller sur le plateau par un travail dit « à la table » dont des lectures puis par des échauffements particuliers.

Pour autant, on ne voit pas ces différentes techniques et ces différents stades ou étapes apparaître dans les rubriques. C’est qu’elles sont traitées dans l’apprentissage au cœur même de l’interprétation qui donne sens et ordre.
Le répertoire, c’est justement déjà un ensemble, un fonds.

Les textes du répertoire classique ne se limitent pas dans notre classification à la stricte et historique période classique du 17è siècle même si cette dernière est clairement désignée aux jeunes gens. Le répertoire dit classique considère largement les écritures d’hier.
Nous distinguons ces textes du répertoire contemporain. Nous sensibilisons aux écritures d’aujourd’hui.

Nous faisons se rencontrer les répertoires, nous les faisons « se frictionner ». Nous ne les proposons pas comme un choix entre le théâtre classique et le théâtre contemporain.

Au cours de l’apprentissage, les élèves étudient dans les deux répertoires simultanément en plaçant la question de la langue, des langues comme une mise en jeu fondamentale.

Nous invitons aussi les jeunes gens à la mise en jeu en langue étrangère, présentée comme une approche théâtrale naturelle.

Le chantier poétique

Ici par exemple la question de la langue est au cœur même du chantier. Pas de personnage ou de situation initiale. L’acteur doit bâtir seul un univers. C’est là peut-être ce « cours de solitude » dont parle Daniel Mesguish directeur du Conservatoire National de Paris. L’acteur seul en scène doit puiser dans sa profondeur, dans sa poétique personnelle. C’est l’occasion de découvertes intéressantes.

Qui parle chantier parle concret et construction, élaboration progressive où conception et réalisation s’épousent autour d’un objet textuel poétique traité théâtralement. C’est l’occasion de pénétrer les univers des grands poètes , de découvrir que les grands auteurs de théâtre sont des poètes mais aussi de donner forme théâtrale et contours à ce qui par essence poétique échappe. C’est le moment particulièrement formateur d’une sorte de révision des fondamentaux de la théâtralité.

Improvisation et lien à la musique, à la danse, à l’objet, aux arts plastiques, aux nouvelles technologies

On provoque le théâtre à partir de tous ces éléments et au fond à partir d’autre chose que le théâtre. On lui cherche d’autres entrées. On le fait seul comme en nombre. Ce peut être aussi à partir de textes non référencés (on en écrit ou on ouvre un journal par exemple…) et on se tient sur le plateau sans autre préalable.
Le mot improvisation ne croise ici aucune idée de match ou de ligue. Simplement on se lie, on se relie immédiatement, spontanément au monde, sur- le- champ et dans une sorte de compagnonnage de recherche avec lui et avec les seuls moyens dont on se trouve disposer.
Toute la question de la présence au sensible s’y trouve posée comme la question de l’invisible et du caractère artisanal du théâtre.

Est-ce que je pourrai m’y exprimer ?

On a également choisi dans les appréciations concernant l’expression artistique le regroupement de points forts autour de plusieurs axes : diction, voix, mouvement, sensibilité, dimension d’imaginaire
qui induisent tant d’autres notions-repères comme : regard, force, fragilité, virtuosité, audace, simplicité, instinct…
Il y a dans ce regroupement autant de technique que d’âme. Jouvet disait ainsi : « La diction, c’est l’âme du personnage »

Que sont les auditions ? Est-ce à ma portée si je débute ?

Les élèves comédiens peuvent avec l’accord de leur enseignant se produire ponctuellement dans un cadre qui n’est pas celui spécifique des travaux d’acteurs, à condition que cela puisse revêtir un intérêt pédagogique théâtral significatif de partage et une faisabilité de même nature, par exemple à l’occasion du concert des lauréats ou de la présentation de la saison pédagogique et artistique du Conservatoire ou de cours publics qui peuvent occasionnellement choisir de montrer ce qui habituellement reste confidentiel au sein de l’apprentissage dans le cours

Les travaux d’acteurs

Ce sont de petites formes à géométrie variable, travaux de recherche et d’expérimentation placés sous la responsabilité de Céline Garcia, que les élèves comédiens présentent publiquement chaque année et qui contribuent à la sensibilisation des publics. Il s’agit de formes ouvertes, séquentielles, provisoirement finies et qui «assument l’inachèvement » pour reprendre une expression de Pierre Boulez à propos d’une exposition musicale au Louvre en 2008. Ces créations posent sensiblement la question de l’écriture scénique. Elles permettent aux élèves de « toucher » au théâtre, de se frotter à la pratique théâtrale multiple : espace du plateau, scénographie, mise en scène, corps de l’acteur, texte, son, image…
Pour des raisons de respect du droit attaché à la propriété intellectuelle et artistique des œuvres de l’esprit, nul ne saurait utiliser tout ou partie de ces travaux sans accord préalable du concepteur réalisateur et de la structure cadre de la création.

Les auditions et les travaux d’acteurs sont le temps exposé du Savoir-faire, de la rencontre avec les publics, en sachant que les acteurs contribuent à la formation de ces publics.
Toutefois, il ne faudra jamais perdre de vue l’existence puissante du théâtre hors même le champ de la représentation car « l’Ecole est le plus beau théâtre du monde. L’Ecole n’a ni commencement ni fin. On n’y préjuge pas du destin des gens » disait Antoine Vitez.

Les examens de fin de cycle

Leur contenu reprend les grands axes d’apprentissage avec mises en scène d’extraits de :
Théâtre classique, théâtre contemporain, montage poétique, chanson, lecture mise en espace…
Chaque cycle comporte des épreuves adaptées.
Une préparation aux examens dans les 3 cycles est assurée chaque année avec présentation et préparation aux épreuves quelques semaines avant celles-ci.
3 Unités de valeur dans la série théâtre classique, théâtre contemporain, chantier poétique et improvisation sont obligatoires pour l’obtention du CET dont l’une au moins avec la mention TB. Théâtre classique et contemporain forment 2 UV indissociables.

Pourquoi employez-vous souvent le mot EXERCICE ?

D’abord, pour moi ce n’est pas un mot modeste. C’est un mot très fort . A l’heure par exemple où des questions foisonnent autour du THEATRE AMATEUR, j’offre finalement par l’exercice une parole vivifiante attelée à l’action théâtrale ici, maintenant, dans le plein exercice d’une pratique nourrie de mes expériences multiformes (conservatoire, compagnie, université, milieu scolaire, association, entreprise). Le plein exercice du théâtre dépasse les compartimentages, les frontières catégorielles. Quand je mets en jeu l’acteur, je ne me préoccupe pas de savoir s’il a été, est ou sera un professionnel ou pas. Je lui demande d’aller chercher plus loin que là où il se trouve, d’opérer en lui un déplacement qui lui permettra de rencontrer le texte, le personnage et de saisir aussi ma demande.

Le théâtre est profondément émancipateur dans ce déplacement constant entre loin du monde et près du monde, entre notre temps et hors du temps entre sur le plateau et hors champ …Sa transmission aux jeunes gens me semble à la fois porteuse et prometteuse de citoyenneté. Le théâtre commence à l’exercice. La recherche, l’expérimentation ont plus d’importance que le spectacle qui en serait l’aboutissement.

La rencontre dont j’ai parlé au moment de votre première question est peut-être l’exercice majeur.
« Le théâtre n’est pas qu’un divertissement, un objet de luxe, mais le besoin impérieux de tout homme et de toute femme » disait Jean Vilar .

Alors comment faites vous pour provoquer cette rencontre ou cet exercice ?

Comment faire pour appeler le théâtre et pour qu’il réponde ? A partir de quoi le provoquer ?

Dans un espace épuré, ce qui ne veut pas dire austère, plateau de théâtre ou pas, mais propre à se retrouver ensemble pour partager, espace vide et vaste équipé en projecteurs permettant un focus sur une aire de jeu.

Rappeler à la fois les exigences du théâtre et la place de la fraîcheur dans l’univers artistique.

Rencontrer des écritures d’hier et des textes contemporains, lire, lire à voix haute, lire en espace et déplacer la lecture jusqu’à ce que le texte mais aussi tout ce qui n’est pas textuel et qui est aussi écriture théâtrale prenne place sur l’aire de jeu